Est recevable l’action en dommages-intérêts fondée sur le motif de manquement de son obligation par le banquier
IDEF-OHADA-24-368
Tchad
Cour d’appel de N’Djamena (Chambre commerciale)
Arrêt commercial n°014/CC/NDJ/2022 du 24/02/2022 rendu par la chambre commerciale
ECOBANK Tchad SA
Contre
Dame AZE SAMATETE
Manquement aux devoirs de vigilance et de prudence du banquier – action en dommages-intérêts recevable ; irrecevabilité de la demande de rehaussement des dommages-intérêts sur appel incident
Application de l’article suivant :
Article 1147 du Code civil français (ancien)*
- Le banquier est susceptible d’être condamné au paiement de dommages-intérêts lorsqu’il ne s’exécute pas à temps malgré une mise en demeure. En effet, l’inexécution ou le retard dans l’exécution – en l’espèce le virement tardif des fonds, au motif que ceux-ci avaient été transférés à une autre personne, en l’occurrence un escroc – constitue tout de même une inexécution du banquier de l’obligation de rembourser l’argent de son client, laquelle donne droit s’il y a lieu aux dommages-intérêts au sens de l’article 1147 du code civil.
- Est irrecevable la demande de rehaussement des dommages-intérêts sur appel incident. En effet, l’exercice d’une voie de recours ne peut être constitutif d’une faute ouvrant droit à réparation ; toute demande de rehaussement des dommages-intérêts doit être soutenue par une preuve.
Abstract : Pétronille BOUDJEKA, Juriste d’entreprise (Cameroun)
*Extrait du code civil français ancien (applicable au Tchad)
Article 1147
Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
Observations
Dans l’exercice de sa profession, le banquier est tenu par des obligations spécifiques dont le non-respect entraine sa responsabilité ; c’est ainsi qu’entre autres, la jurisprudence impose au banquier un devoir général de vigilance ou de prudence.
En effet, le banquier doit se montrer vigilant en présence de certaines opérations présentant une anomalie apparente ou réclamant une surveillance renforcée. Celui-ci pourrait engager sa responsabilité à l’égard de son client comme à l’égard des tiers pour ne pas s’être opposé à de telles opérations. L’anomalie peut être matérielle ou intellectuelle. L’anomalie est matérielle lorsqu’elle affecte par exemple la régularité même du titre de paiement et qu’elle peut être révélée par un simple examen du titre. C’est le cas d’un chèque falsifié (Cass.com. 7 juillet 2009, JCP éd. E. et aff. 2009, P.17, n° 2021, note J. Lasserre-Capdeville). L’anomalie est dite intellectuelle lorsqu’elle résulte du contexte dans lequel l’opération a été effectuée. C’est le cas par exemple lorsque des mouvements anormaux sur le compte ont permis des détournements par un dirigeant (Cass.com. 11 mai 2010, BRDA 2010, n°10, P.10) ou d’un père qui faisait régulièrement des retraits sur les comptes de livret A de ses enfants mineurs. (CA Rennes 10 février 2016, JCP E N°11,17 mars 2016, act.226)
Dans l’arrêt commercial n°014/CC/NDJ/2022 du 24/02/2022 rendu par la chambre commerciale de la cour d’appel de N’Djamena, les juges auraient pu parler aussi bien d’anomalie matérielle d’anomalie intellectuelle. L’imitation de signature du client décédé sur les ordres de virement, à moins que l’imitation ait été faite à la perfection constitue une anomalie matérielle que le banquier aurait dû détecter en étant vigilant. Quant à l’anomalie intellectuelle, elle serait consécutive du fait pour la banque d’exécuter des ordres de virement pour achat de terrain reçus deux semaines après que la famille lui a notifié le décès de son client. Là encore, le banquier a failli. Les juridictions tchadiennes sont restées évasives en condamnant certes sur le fondement du droit commun de la responsabilité avec l’article 1147 du code civil (ancien) sans aller au-delà. C’est une occasion manquée pour l’évolution de la jurisprudence bancaire africaine que nous pouvons considérer néanmoins comme tel.
Sur ce sujet lire également « Le devoir de vigilance et de la responsabilité du banquier » par Salif Ouattara, Le devoir de vigilance et la responsabilité du banquier. Par Salif Ouattara, Avocat. (village-justice.com)
Arlette BOCCOVI, juriste de banque et d’affaires
Référence pour citer l’abstract :
Janvier 2024, note d’abstract rédigée par Pétronille BOUDJEKA, « Est recevable l’action en dommages-intérêts fondée sur le motif de manquement de son obligation par le banquier», Obs Arlette BOCCOVI in IDEF - La jurisprudence OHADA (institut-idef.org) et Accueil - Jurisprudence-OHADA, IDEF- OHADA-24-368, Cour d’appel de Ndjamena, Arrêt commercial Numéro 014 CC NDJ 2022 rendu par la chambre commerciale du 24 février 2022, chambre commerciale, ECOBANK Tchad SA contre Dame AZE SAMATETE